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La 5G : le point de vue d'un écolo geek

Lors du Conseil Fédéral des 11 et 12 juillet 2020 du parti Europe Ecologie - Les Verts, la motion sur la 5G - sobrement titrée “motion 5G” - a été approuvée par 101 voix sur 105 (2 votes contre, 2 absentions), soit 96,2 % des voix. J'ai été l'un des principaux rédacteurs de cette motion, avec les conseillers fédéraux Pierre Ristic (son site http://ristic.fr/) et Mathilde Tessier (co-responsable de la commission Energie du parti). Nous avons commencé à travailler courant janvier 2020, à une époque où il était encore difficile de mobiliser sur cette question.

Je précise que je suis moi-même un vieux geek (j'ai installé ma première distribution Linux en 1995, alors un peu de respect !), que mon smartphone (à l'heure où j'écris ces lignes, un Huawei) est mon principal outil de travail avec ma tablette (une Microsoft Surface Go), et que je me connecte très souvent via le “partage de connexion” du smartphone, donc via le réseau 4G actuel, parce que je suis régulièrement en situation de mobilité. Du coup, l'arrivée de la 5G et ses promesses, c'est quelque chose qui m'a tout de suite intéressé. Et en tant qu'écolo “connecté”, je me suis évidemment très vite posé des questions sur le coût énergétique, environnemental, et sur la pertinence de cette “révolution technologique” qu'est supposée être la 5G.

La 5G est un sujet assez “touchy”, parce que alourdi de préjugés et d'inquiétudes, du côté du grand public, mais aussi farci d'arguments marketing plus ou moins absurdes, du côté des industriels et des opérateurs de téléphonie mobile.

Non, la 5G n'est pas dangereuse pour la santé, en tout cas il n'y a pas de raison scientifique de le craindre aujourd'hui. Les ondes émises par les antennes-relais 5G sont juste ça, des ondes électro-magnétiques, c'est un phénomène naturel, qui, à certains fréquences, peut être utilisé pour porter des communications sans fil sur une certaine distance. Les fréquences envisagées pour la 5G seront émises sur de distances plus petites que celles émises depuis les antennes-relais 4G et 3G, et leurs antennes seront plus petites et seront moins consommatrices d'électricité. Donc, techniquement, pour celles et ceux qui s'inquiètent de la présence d'antennes-relais dans leur environnement, la 5G serait plutôt une amélioration qu'une raison de s'inquiéter.

En revanche, et c'est là tout le sel de la communication marketing dont on nous abreuve depuis quelques mois, en réalité les antennes-relais 5G seront plus nombreuses que les 4G/3G, et les progrès technologiques annoncés auront des conséquences importantes sur nos usages des terminaux connectés et sur notre usage des contenus accessibles via Internet.

Du point de vue de la santé, le consensus scientifique actuel est que les ondes électromagnétiques émises par les antennes-relais n’ont pas d’incidence notable sur la santé des usagers. De nombreuses études existent sur ce sujet, étudié depuis près d’une vingtaine d’années désormais. Quelques exemples d’études sur le sujet :

  • “Plus il y a d’antennes, plus la puissance de transmission diminue. D’autant que la 5G permettra de réduire les durées d’exposition grâce à des débits plus importants”, Santé : faut-il avoir peur de la 5G ?, Le Figaro, octobre 2019
  • “Selon ces études, qui convergent d’ailleurs avec les expertises internationales, l’hypothèse d’un risque pour la santé des personnes vivant à proximité des antennes-relais ne peut être retenue”, Les antennes relais sont-elles dangereuses pour la santé ?, France Info, avril 2015
  • “Les conclusions de l’évaluation des risques publiées en 2013 ne mettent pas en évidence d’effets sanitaires avérés. Certaines publications évoquent néanmoins une possible augmentation du risque de tumeur cérébrale, sur le long terme, pour les utilisateurs intensifs de téléphones portables”, Radiofréquences, téléphonie mobile et technologies sans fil, ANSES, 2011

Mais certaines personnes se déclarent “électrosensibles” : l’exposition aux ondes des antennes-relais, aux champs magnétiques induits par les pylônes électriques voire même au réseau électrique domestique, provoque chez elles divers symptômes de fatigue physique et psychique.

Je crois que l'écologie politique ne doit être ni technophobe ni “techno-béat”, et qu'elle doit forcément s'intéresser, dans le cadre d’une innovation technologique d’une telle ampleur, au bien-être et à la santé des personnes. Plusieurs associations ont vu le jour pour faire entendre la voix des électrosensibles, et si les causes exactes de leurs troubles ne sont pas encore identifiées, on ne peut pas ne pas prendre en compte leur souffrance et les considérer comme quantité négligeable. Dans son rapport d’octobre 2019 sur la 5G, l’ANSES affirme avoir “mis en évidence un manque important, voire une absence de données, relatives aux effets biologiques et sanitaires potentiels” de la nouvelle technologie. Mais est-ce que leurs soucis de santé sont vraiment en lien avec les ondes électro-magnétiques émises par les antennes-relais ? Rien n'est moins sûr, si vous voulez mon avis.

Combien de personnes sont concernées par ce phénomène compliqué à diagnostiquer qu'est la supposée “électro-sensibilité” ? Il y aurait aujourd’hui entre 600 000 et 3 millions de personnes électrosensibles en France, affirment certaines associations, mais ces estimations sont particulièrement délicates à vérifier, étant donné la diversité des symptômes signalés (voir par exemple cet article de WeDemain : Dans les Hautes-Alpes, bientôt un refuge pour électrosensibles ?).

Avec la 5G, le temps de latence (le temps de réponse d'un objet connecté à une requête qu'il reçoit) sera dix fois moins important qu'aujourd'hui, et le débit (le temps pour télécharger des données sur un terminal grâce au réseau 5G) au moins dix fois plus rapide. On nous promet donc un paradis de la consommation en ligne, avec des vidéos HD instantanément accessibles sur nos smartphones, des partages de gros fichiers en un clin d'œil, de la réalité virtuelle dans le creux de la main, etc. A écouter les industriels et les opérateurs, ce sera le Nirvana de la consommation de loisir et du divertissement… comme l'a très bien résumé EricPiolle récemment, la 5G c'est avant tout la promesse //"de regarder du porno en HD dans l'ascenseur"//.

Mais cet Eldorado de l'échange de données aura un coût… Ou plutôt plusieurs. Déjà, c'est faire d'une avancée technologique un paradis de la consommation. Remarquez que toute la communication autour de la 5G nous parle de loisirs sur nos smartphones ou d'avancées techniques façon SF, mais qu'on est en droit d'interroger :

  • A-t-on vraiment besoin (et envie ?) de voitures autonomes, quand le marché des voitures est en plein effondrement après la crise sanitaire ? Le marché des voitures en France a connu une baisse de pas moins de 50 % en mai 2020 et les Français n'ont jamais acheté autant de voitures d'occasion plutôt ;
  • Est-il crédible d'évoquer des opérations chirurgicales pilotées à distance, quand on constate le déficit en équipement de nos hôpitaux et le manque de moyens humains, dont la crise sanitaire du COVID-19 a été un terrible révélateur ?
  • Comme la 5G nécessite plus d'antennes, plus petites et émettant à moindre distance, sera-t-il rentable pour les opérateurs de couvrir les zones rurales, lesquelles, par définition, sont moins habitées et contiennent donc moins de clients potentiels ? Dès 2017, un article de Spectrum, la revue de l'IEEE, posait déjà la question 1) Avec la 5G, en réalité, la fracture numérique ville/campagne ne risque-t-elle pas de s'aggraver, et cela alors même que le réseau 4G n'est toujours pas totalement déployé ?

Au-delà de ces questions, il y a aussi et surtout celle de la consommation électrique induite par la 5G : les opérateurs prétendent que les antennes-relais 5G vont consommer moins et plus intelligemment. Certes, d'un point de vue technique, ces nouvelles antennes-relais sont plus “intelligentes”, elles disposent notamment d'une fonction de veille, qui fait qu'elles consommeront moins d'électricité quand elles ne seront pas sollicitées pour transmettre des données. Sur le papier, c'est tout bénéf pour la planète… Sauf que dans les monde réel, ces antennes-relais seront évidemment sollicitées bien plus souvent, étant donné l'“Internet des objets” (Internet of Things) qu'on nous promet, et tous ces nouveaux loisirs numériques que les agences de communication vont tenter de nous convaincre d'utiliser au quotidien.

En janvier 2020, un article publié sur le site d'Alcan Systems (un équipementier de matériel 5G), 5G and Beyond: The Power Consumption Challenge, faisait un bilan des premiers réseaux 5G installés, notamment en Chine. La consommation électrique induite, loin d'être réduite, était en pleine explosion :

Avec le déploiement des premiers réseaux 5G, il apparaît que la plupart des objectifs annoncés se concrétisent, ou ne tarderont pas à l'être… A part un, qui n'est définitivement pas atteint : celui de la réduction de la consommation électrique. 2)

Un article du site anglo-saxon Fierce Wireless d'avril 2020 entre dans le détail des besoins en électricité d'une station 5G typique, telles que celles déployées en Chine depuis fin 2019. Surprise, le besoin en électricité serait 70 % plus grand qu'avec une station 4G typique. Et les données pour arriver à un tel résultat ne proviennent pas d'une quelconque source “anti-5G”, mais de Huawei lui-même, c'est-à-dire LE constructeur à la pointe de la techno 5G à l'heure actuelle :

According to Huawei data on RRU/BBU needs per site, the typical 5G site has power needs of over 11.5 kilowatts, up nearly 70% from a base station deploying a mix of 2G, 3G and 4G radios. 5G macro base stations may require several new, power-hungry components, including microwave or millimeter wave transceivers, field-programmable gate arrays (FPGAs), faster data converters, high-power/low-noise amplifiers and integrated MIMO antennas. 3)

Même le patron d'Iliad, Xavier Niel, admettait en juillet au micro de France Info qu'il y aurait forcément une augmentation des données échangées et donc de la consommation induite… mais, ce serait de la faute des utilisateurs, qui ne sauraient pas “modérer” leur utilisation :

Ce n'est pas la 5G qui fait augmenter le trafic, c'est notre utilisation des réseaux mobiles qui fait augmenter la consommation de données. 4).

C'est un peu comme si un constructeur de grosses voitures SUV, très rapides et très consommatrices d'essence, accusait ses clients d'être les responsables de la hausse de consommation du pétrole que leur utilisation allait induire…

On tente de nous vendre la 5G comme une grande révolution technologique, qui va améliorer et enrichir nos usages du numérique. La motion 5G EELV questionne cette promesse, parce que nous ne voulons pas être de simples consommateurs, nous voulons être des acteurs et des actrices de la société d'aujourd'hui. En tant qu'écolos, nous nous interrogeons sur le “toujours plus” consumériste, qu'il s'agisse de consommation électrique ou de consommation de produits et de loisirs.

On nous dit “consommez et divertissez-vous, confiez-nous vos données personnelles sans vous poser de question, ni sur leur utilisation ni sur l'énergie dépensée pour ces loisirs”. Est-ce que c'est vraiment le futur que l'on souhaite ? Avec cette motion 5G nous ne sommes ni anti ni pro 5G, nous voulons que cette techno soit utilisée à bon escient, en responsabilité, pour éviter de transformer l'Internet en un gigantesque centre commercial de loisirs ou en un grand marché de nos données personnelles.

Pour aller plus loin, je vous suggère de vous renseigner sur le projet NegaOctet ainsi que sur les rapports du collectif GreenIT. L'association NegaOctet propose de mettre en place un référentiel d'éco-conception des systèmes d'information et des infrastructures réseaux, dans un souci de sobriété énergétique, le collectif Green IT publie rapports et données sur l'impact environnemental du numérique et propose des solutions pour réduire cet impact.

Le Conseil National du Numérique (@CNNum sur Twitter) a récemment publié une feuille de route sur l'environnement et le numérique qui, grosso modo, creuse le même sillon que la motion d'Europe Ecologie - Les Verts.


1)
Citation : “There is a problem, though: The sheer number of small cells required to build a 5G network may make it impractical to set up in rural areas.”, 5G Bytes: Small Cells Explained, août 2017
2)
Citation originale : “As the first 5G networks are rolling out, it appears that most of the initial objectives are met or close to be met. Only one is definitely not met: the power consumption reduction.”
3)
Citation tirée de l'article 5G base stations use a lot more energy than 4G base stations, site Fierce Wireless, 3 avril 2020
4)
Citation tirée de l'interview donnée par le patron d'Iliad à France Info le 11 juillet 2020 : Nouveau monde. Xavier Niel : "Ce n’est pas la 5G qui fait augmenter le trafic de données"
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  • Dernière modification : 2020/07/16 11:55
  • de Grégory Gutierez