L'écriture inclusive, révélatrice de la misogynie ordinaire

Ce 21 novembre 2017, Marie Donzel et Erwan Balanant co-signent un article publié sur le blog de la première, Ladies & Gentlemen, l'égalité des sexes au coeur de l'actualité.

Ils choisissent un titre volontairement provocateur : Oui, l’écriture inclusive est bien un hommage à la langue française !. Et comme le blog est hébergé par France Info, il est très rapidement exposé, et comme de bien entendu, le trollage anti-écriture inclusive va se déchaîner. Et voilà une bonne occasion d'étudier les arguments contre cette proposition pour visibiliser les femmes au travers de la langue. Et puis, oh comme c'est étonnant, de constater à quel point ces arguments se confondent avec de la misogynie pure et simple.

Qui sont l'autrice et l'auteur de cet article ?

Une rapide bio des deux auteurs : Marie Donzel se présente sur la page A propos de son blog : “Depuis toujours passionnée par la question de l'égalité femmes/hommes, j'en ai aujourd'hui fait une large partie de mon métier. A la tête d'une agence de communication indépendante, j'accompagne notamment les démarches de responsabilité sociétale des entreprises sur les thèmes de la parité et de la diversité, de la parentalité et de la conciliation vie privée/vie professionnelle, du leadership féminin et des actions d'économie citoyenne.

On lui doit notamment un rapport sur l'égalité professionnelle et le leadership au féminin, publié en 2015,Le Rapport EVE et Donzel : 50 chiffres pour savoir, comprendre, débattre et agir.

Et on peut l'écouter sur Youtube, notamment lors du forum JUMP à Paris, en 2017, où elle explique Le syndrome de la schtroumpfette et autres freins mythiques à la carrière des femmes.


Erwan Balabant est un député La République en Marche, il est notamment membre de la Délégation de l'Assemblée nationale aux droits des femmes et à l'égalité des chances entre les hommes et les femmes. Sa fiche Wikipédia nous apprend qu'il est aussi photographe et qu'en 2017 il expose ses photos lors d'une exposition à la Villa des Arts. Il s'agit d'un “travail documentaire sur les femmes en situation de grande précarité mené en collaboration avec la journaliste Eloïse Bouton pour l'Association Agir pour la Santé des Femmes : “A la rencontre des femmes oubliées”

L'article qu'ils ont co-signé avance trois arguments pour promouvoir l'écriture inclusive :

  • Si les Françaises et les Français veulent continuer à voir leur langue rayonner, il leur faut une langue vivante : “La langue inclusive ouvre l’imaginaire aux incarnations féminines du pouvoir, de la prise de parole, de la création, et nous avons la conviction que c’est aussi de cette façon-là cela que l’on stimulera et promouvra l’ambition des filles et femmes d’aujourd’hui et demain.”
  • les Français·es doivent renoncer à l’idée qu’elles et ils peuvent fixer seul·es les règles : “Ne nous privons pas de notre légitimité à prendre la parole sur la mixité à l’échelle mondiale en nous enfermant dans des postures réactionnaires de petit peuple chauvin qui n’a que des traditions, pas si anciennes de surcroît, à défendre. Au contraire, donnons l’exemple d’un peuple qui sait se remettre en cause et accepte de faire évoluer sa propre culture.
  • Ce qui, de façon plus générale, retarde la France sur le plan de l’innovation, c’est sa résistance opiniâtre au changement.

Et de terminer leur article par un appel à un vrai débat sur l'écriture inclusive : “Relevons le défi. Ayons un débat utile et constructif sur l’écriture inclusive, c’est à dire un débat débarrassé des réactions épidermiques stériles et des conservatismes obtus, pour engager une vraie conversation politique sur les moyens de réaliser la mixité partout et tout le temps, dans nos façons de voir et de faire, dans notre quotidien comme dans notre projet commun.”

Voilà, c'est engagé, c'est clairement exprimé, c'est raisonné, sans véhémence aucune ni agressivité, si ce n'est une volonté explicite de faire bouger les lignes de la langue française (mais est-ce une agression ?). Et n'oublions pas le contexte : cet article paraît le jour-même où le Premier Ministre, Edouard Philippe, croit utile de signer une circulaire interdisant l'usage du fameux point médian, symbole même de l'écriture inclusive, dans les textes des ministères et administrations de l'Etat.

C'est bien connu, plus un article de blog est exposé, et c'est le cas ici puisque le bloge de Marie Donzel est hébergé sur le site de France Infos, ce qui lui assure une grosse visibilité, et plus les commentaires risquent de verser dans l'agressivité et la bêtise. Après avoir parcouru ces commentaires, il me paraît intéressant d'en isoler les arguments qui en sous-tendent la plupart.

Mais d'abord, une remarque préliminaire : TOUS ces commentaires, souvent agressifs et méprisants, ne s'adressent qu'à Marie Donzel, jamais à Erwan Balanant. C'est la personne de Marie qui est systématiquement la cible des attaques, une Marie que la plupart des commentateurs ne connaissent visiblement pas du tout. Ils savent juste que cette personne tient un blog sur les questions d'égalité hommes/femmes, et je suis prêt à parier que pratiquement aucun d'entre eux n'aura eu la curiosité de cliquer sur sa page “A propos” pour en savoir plus sur la personne qu'ils jugent si définitivement. Et rien que le fait que les commentaires s'en prennent à Marie Donzel est déjà fort révélateur : c'est la femme qu'il s'agit de décrédibiliser. L'homme qui a co-signé cet article, lui, ne sera pas inquiété outre mesure.

Les propos en commentaires, selon mon analyse, ressortent donc de quelques méthodes bien connues :

  1. Se moquer du patronyme : “Marie Donzel, (c'est une blague ?) n'est pas “cheffe” d'entreprise…car ce vocable n'existe pas en français mais “chef” d'entreprise. le mot “chef” désignant le sommet de la tête et par extension le “cerveau, le siège des décisions, l'endroit important etc””
  2. Mettre en doute les compétences :Voilà Marie Donzel autoproclamée “experte de l'égalité professionnelle”. A pleurer de rire ! J'espère au moins que madame l'experte n'a pas facturé le graphique accompagnant l'article.”
  3. Hystériser le propos, c'est-à-dire le qualifier de manière qu'il paraisse être produit par une personne qui pense plus avec son sexe qu'avec son cerveau, et qui est dans l'outrance et la déraison (oui, on pense à Charcot et sa théorie de l'hystérie trouvant son origine dans un dérèglement des organes génitaux de la femme) : “Un salmigondis d'affirmations toutes plus ahurissantes les unes que les autres”, “Texte de pure propagande…”, “Pour moi, ce .es ressemble ( si j'ose dire ) à un cache-sexe ou plutôt montre-sexe, comme une femme qui montrerait une partie d'elle , bien mince (.es) de derrière un homme.”
  4. Dire que c'est un sujet sans intérêt et périphérique, et qu'il vaudrait mieux se consacrer à d'autres combats quand on se revendique féministe : “Et je ne suis pas trop convaincu que cette écriture fasse progresser en quoi que ce soit la situation des femmes. Il vaut mieux se concentrer sur l'égalité des carrières (grossesses comprises), des salaires, de tout ce qui fait qu'une femme n'est toujours pas l'égal(e) de l'homme en fait sinon en droit, et le jour où l'on arrivera à ça, je suis persuadé qu'une femme se fichera qu'on l'appelle un homme.”, “le fait est que vous voulez transformer la langue française, élégante et sophistiquée en pavé lourdingue. C'est plus facile que d'aller aider les femmes vraiment en détresse sur le terrain et ça fait un peu briller un ego besogneux.”

Bon, je ne suis pas certain qu'il soit utile de répondre à tous ces commentaires, mais tout de même, précisons un peu les choses concernant le fameux mot “cheffe”. Comme beaucoup d'autres mots féminisés, il existe bien en langue française, mais son usage avait plus ou disparu au 20e siècle, avant de revenir en force ces dernières décennies. Selon la page consacrée à ce mot sur le Wiktionnaire, il est présent au 19e siècle, par exemple chez les auteurs Théophile Gauthier et Émile Gaboriau.

Plus près de nous, le mot cheffe est largement utilisé, y compris par les ministères de l'Etat français, lorsqu'il s'agit de désigner de nouvelles cheffes de cabinet.


~~socialite~~

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  • Dernière modification : 2020/04/06 12:33
  • de Grégory Gutierez