Petite introduction à l'histoire de la parapsychologie

(Publié en 2006 dans la revue Le Tigre, sous le titre “La parapsychologie (n')est (pas) une science”.)

Le TigreQu'est-ce que la parapsychologie ? Le terme sert aujourd'hui à qualifier beaucoup de choses bien différentes. Il suffit de feuilleter votre magazine télé préféré, quelque part vers les dernières pages, entre les mots-croisés et la BD, pour trouver des « médiums-parapsychologues-voyants » à 1,50 € la minute de consultation téléphone. De même, en mars 2006 s'est tenu à Paris, à la porte de Champerret, un « Salon de la parapsychologie » dans lequel cartomanciens, astrologues et autres praticiens de « sciences occultes », de la plus traditionnelle à la plus pittoresque, proposaient leurs services. Un parapsychologue serait donc une de ces personnes qui se disent « douées » d'un pouvoir surnaturel, défiant les lois de la Nature, et faisant commerce de sa capacité ? Eh bien non.

De la même manière qu'un astronome n'est pas un astrologue, bien qu'ils tentent, l'un comme l'autre, de « déchiffrer » le ciel, un parapsychologue n'est nullement un praticien du paranormal, et ne fait pas commerce de supposés dons. Au contraire, le parapsychologue tente de comprendre ce qui fait qu'il y a des voyants, et des médiums, dans notre société, et surtout, comment on peut tenter d'expliquer ces capacités psychiques curieuses que ces personnes semblent manifester dans leur pratique quotidienne. Et pour cela, le parapsychologue utilise les armes du savoir et de la connaissance, c'est-à-dire la science et l'enquête historique.

Malheureusement, le terme de « parapsychologue » s'est progressivement galvaudé au fil du temps, depuis qu'il fit son apparition dans les années 1930, aux Etats-Unis, sous l'impulsion d'un chercheur audacieux, Joseph B. Rhine, lequel était lui-même héritier d'une longue tradition de recherches, le courant dit des « sciences psychiques ». Pour savoir de quoi l'on parle, regardons un peu en arrière…

L'histoire de la parapsychologie trouve ses racines à la fin du XVIIIème siècle. En 1784, le Marquis de Puységur, un noble de province, traite un jeune homme malade par la méthode « magnétique » d'Anton Mesmer, alors très répandue pour soigner les maladies nerveuses. Mais à force de « passes magnétiques », il finit par faire sombrer le jeune homme dans un état de conscience tout à fait inattendu. On dirait aujourd'hui qu'il a en quelque sorte hypnotisé son patient. Quelque chose de vraiment curieux se produit alors : dans cet état modifié de conscience, le jeune homme s'exprime désormais avec calme et intelligence, à mille lieues de sa manière habituelle, et surtout, il se met à chantonner un petit air de musique… que Puységur avait justement en tête au moment de commencer la séance. Voilà de quoi intriguer le marquis, qui se met en devoir de reproduire cette expérience afin de déterminer ce qui se passe lors de cette bizarre altération de l'équilibre mental et psychique.

Puységur diffuse ses observations et fait bientôt des émules. C'est ainsi que, peu à peu, se met en place tout un corpus de pratiques et de témoignages à propos de ce qu'on commence à appeler « le magnétisme animal », cet état d’être si particulier dans lequel se manifestent des capacités mentales nouvelles et, à première vue, tout à fait aberrantes. Les « magnétisés » réussissent à lire le contenu de lettres cachetées, parviennent à capter les pensées des personnes présentes autour d’eux, arrivent même parfois à donner des informations précises sur les remèdes nécessaires pour améliorer leur santé chancelante. Bientôt des controverses éclatent, entre d’une part les « magnétiseurs » héritiers de Puységur, qui défendent des théories concurrentes pour expliquer ces prodiges, et d’autre part entre ces héritiers et leurs critiques, des personnalités respectées (souvent des médecins) qui ne croient pas un mot de ces histoires abracadabrantes de lecture de la pensée et de transes « magnétiques ». Peu à peu s'organisent différents réseaux théoriques : pour les uns, c'est la puissance de la volonté du magnétiseur qui fait le phénomène, un peu à la manière d’un aimant dont la force attractive mobilise la limaille de fer ; pour d’autres, tout est en réalité affaire de « fluide magnétique », cette notion inventée par Anton Mesmer qui veut qu’un courant d’énergie vitale se diffuse des cieux jusqu’aux hommes et aurait des vertus curatives pour les maladies nerveuses ; enfin pour d’autres, ces histoires rappellent trop les états de possession que décrivaient les exorcistes naguère, et tout cela ne serait, en fin de compte, que le nouveau visage pris par le Démon pour pervertir l'homme.

La querelle du magnétisme animal s’étale depuis l’année 1784 jusqu’aux premières années du XIXème siècle. A partir des années 1820, on commence à tester l’efficacité de cette « cure » dans des hôpitaux, au point que bientôt l’Académie de Médecine entend faire toute la lumière sur l’authenticité de ces bizarres manifestations de l’esprit. Contre toute attente, une première commission, qui travaille plusieurs années, rend un rapport qui s'avère positif, en reconnaissant l'authenticité d'un état magnétique spécifique au cours duquel apparaissent des facultés intellectuelles pour le moins inattendues. C’est un scandale, le rapport ne sera finalement pas rendu publique, et bientôt une seconde commission est créée, sous la direction d’un certain Dubois d’Amiens, un médecin qui ne cache pas son mépris pour les « magnétistes » et leurs élucubrations d'un autre âge.

Le travail de cette nouvelle commission est centré notamment autour des facultés d'une jeune fille, Léonide Pigeaire, qui, dans l'état de transe magnétique, parvient à lire des textes glissés dans des enveloppes scellées. Mais après seulement quelques semaines de délibérations, dont une longue polémique sur ce cas particulier de Pigeaire, la commission rend un avis qui, cette fois, est bien négatif : non, la transe magnétique n'existe pas. Si cet enterrement institutionnel n'arrête pas les débats et les témoignages autour des phénomènes allégués, il interdit désormais aux hommes de science, aux médecins tout particulièrement, de traiter de ce sujet dans leurs travaux. Suit alors une période assez trouble, entre 1820 et 1850 environ, pendant laquelle la querelle persiste dans des périodiques spécialisés, mais sans plus « faire débat » dans le monde savant d'où il a été officiellement chassé.

C'est pourtant dans les années 1840 qu’apparaît le plus étonnant des « somnambules magnétiques », Alexis Didier, un jeune homme délicat et de santé fragile, dont les capacités vont créer la stupeur parmi de très nombreux témoins. Parmi eux, d’illustres personnages de l’époque, tels l'écrivain Alexandre Dumas ou le prestidigitateur Robert-Houdin, lequel ressort fort troublé de sa rencontre avec Didier. Mais bientôt Alexis Didier est balayé par une déferlante venue des Etats-Unis : la mode des tables tournantes envahit l'Europe, et transforme radicalement la culture entourant ces phénomènes.

C'est à la fin des années 1840 que naît le Spiritisme moderne, dans la petite ville de Hydesville, aux Etats-Unis. Les deux jeunes soeurs Fox entrent en contact avec l'Esprit d'un défunt, ancien locataire des lieux, par l'intermédiaire de coups portés sur les murs ou dans les meubles. Bien sûr, cela fait des milliers d'années que l'homme commerce avec les Esprits, mais l'innovation est ici pragmatique : grâce à ces « rappings » produits par le fantôme, les soeurs Fox arrivent à établir un langage codé : un coup pour oui, deux coups pour non, tant de coups pour tel chiffre, etc. L'histoire des soeurs Fox fait rapidement le tour du pays, et un peu partout, on tente d'entrer en contact avec les Esprits. Bientôt la famille Fox doit s'installer dans un autre état afin de retrouver un peu de calme. Mais la « découverte » des jeunes soeurs dépasse toutes leurs espérances en matière de célébrité, et depuis les Etats-Unis, « the modern Spiritualism » essaime en Europe.

C'est au tout début des années 1850 que cette « fièvre des tables tournantes » atteint la France. Très rapidement, les salons de la haute bourgeoisie comme les cuisines des domestiques, servent de théâtres improvisés pour des séances de spiritisme où l'on fait grincer les meubles avec force appels à se manifester adressés aux Esprits. Dans les années 1860, un certain « Alan Kardec », en fait un professeur des lycées du nom de Denizard-Hippolyte-Léon Rivail, un pur produit des Lumières et de la République, retranscrit dans un ouvrage ses longues discussions d'outre-tombe, pendant lesquelles il recueille l'enseignement des Esprits. Son Livre des Esprits devient une véritable bible, synthétisant la doctrine spirite, qui se rêve première désormais « religion scientifique ». A la mort de Kardec, en 1969, ce n'est nul autre que le jeune – et déjà célèbre – astronome Camille Flammarion qui lui rend un vibrant hommage. C'est assez dire l'importance qu'a pris le Spiritisme dans la société.

C'est sur ce terreau en pleine effervescence qu'apparaissent les premières sociétés savantes, afin d'étudier les phénomènes physiques et intellectuels qu'on mentionne lors des séances spirites. Un sympathique « Ghost Club » est fondé dans les années 1860 en Angleterre, animé par des savants et des universitaires, alors que de son côté, la prestigieuse Société Dialectique de Londres décide de mettre en place une commission d'étude. Sa conclusion fait débat : il y aurait bien des phénomènes inexplicables lors de ces séances, notamment des déplacements et des lévitations de mobilier, ainsi que des états psychiques particuliers et étonnants chez les médiums supposés être sous l'emprise d'un Esprit. Dans l'ensemble, ces observations laisseraient à penser qu'une « force psychique » serait produite par l'être humain et influencerait la matière à distance…

En 1882, des universitaires de Cambridge s'unissent pour créer la première société savante visant à étudier systématiquement les occurrences de ces phénomènes psychiques : dans ses statuts, la nouvelle Society for Psychical Research (SPR) annonce s'intéresser aussi bien aux phénomènes du Spiritisme qu'à ceux qui faisaient (et font encore, mais de manière plus discrète) les beaux jours du « magnétisme animal ». C'est ce double héritage qui va désormais caractériser la recherche psychique, d'où naîtra plus tard la parapsychologie : d'un côté les phénomènes intellectuels du magnétisme, de l'autre les phénomènes physiques, en quelque sorte plus exubérants, du spiritisme. Cette ambivalence va rapidement se retrouver aussi dans les cadres théoriques dans lesquels on tente de contraindre les phénomènes : certains chercheurs vont finir par se persuader de la réalité du contact avec le monde des Esprits. D'autres vont, au contraire, conclure que, si ces phénomènes existent bien, leur origine doit être trouvée chez l'être humain vivant, et non dans quelques instances surnaturelles toutes puissantes. En France, la recherche en sciences psychiques s'organise dès les années 1880, dans le sillage de la création de la SPR anglaise.

En 1891 paraît le premier numéro des Annales des Sciences Psychiques, avec une introduction du médecin français Charles Richet, qui forge à l'occasion de terme de « métapsychique ». Désormais la recherche se développe en Europe, en Angleterre et aux Etats-Unis, avec la mise en place de réseaux d'échanges et de plate-formes de publications. De nombreux médiums d'obédience spirite sont étudiés par ces savants, comme par exemple Leonora Piper, une médium américaine habitée par des Esprits, qui va passer de longues années à disposition des chercheurs de la SPR et de son pendant local, l'American Society for Psychical Research (ASPR). Au cours de très nombreuses séances, on lui présente des personnes anonymes. Miss Piper, alors « possédée » par des défunts ayant connu ces personnes, est supposée pouvoir fournir des informations justes et vérifiables. Les Proceedings de la SPR, d'épais volumes où sont publiés ces travaux, se remplissent de transcriptions de séances suivis d'analyses, de témoignages et de commentaires. Dans l'ensemble, il semble se faire un consensus sur l'authenticité de certains des discours de Léonora Piper. Mais doit-elle son « don » au travail invisible des Esprits, ou bien à une faculté de « clairvoyance » (c'est le mot qu'utilisent les Anglais) dont elle serait elle-même l'origine, voilà le sujet qui préoccupe alors les savants.

C'est aussi à cette époque que le terme de « télépathie » fait son apparition. On le doit à Frederic Myers, un universitaire, et l'un des fondateurs de la SPR, qui, avec ses collègues, consacre plusieurs années à collecter des milliers de témoignages contemporains « d'apparitions de mourants ». Ils aboutissent finalement à la publication d'une véritable somme érudite, Phantasms of the living (les fantômes des vivants), un méticuleux travail d'enquête de plusieurs milliers de pages, exposant 700 cas d'apparitions les plus crédibles et les mieux avérés. Les auteurs concluent qu'au moment de la mort, la pensée d'un être humain peut instantanément traverser des distances parfois très longues (d'un continent à un autre par exemple) afin d'« impacter » une autre personne, laquelle va, en retour, halluciner une présence fantomatique du mourant (c'est l'exemple typique de la mère qui « sait » soudain que son fils chéri vient de mourir, parce qu'elle vient de le voir apparaître dans sa cuisine, alors qu'il se trouve au même moment à des milliers de kilomètres de là).

Myers et ses collègues proposent alors la notion nouvelle de télépathie pour rendre compte du phénomène, un modèle théorique qui a l'avantage de ne pas mobiliser tout un outre-monde spéculatif pour rendre compte des témoignages collectés : l'information transiterait d'être humain à être humain, grâce à la transmission de la pensée. Une explication « dans l'air du temps » : c'est à la même époque que sont inventées la communication par câble puis par radio. Pendant ce temps-là, en Europe, les métapsychistes se passionnent plutôt pour les phénomènes physiques, ceux manifestés notamment par une paysanne italienne, Eusapia Palladino, qui va littéralement subjuguer les savants. L'italien Cesare Lombroso (grand théoricien, à l'époque, de la notion de « délit de faciès »), le médecin Charles Richet, l'astronome Camille Flammarion, le psychologue suisse Théodore Flournoy, on comptera même bientôt le philosophe Henri Bergson, ou le célèbre couple Pierre et Marie Curie, toutes ces personnalités du monde scientifique vont organiser des séances spirites avec la Palladino afin d'observer les incroyables phénomènes qu'elle manifeste une fois en transe : tables qui se mettent à flotter, rideaux balayés par de brusques bourrasques, instruments de musique actionnés par des mains invisibles, etc. Entre ses premières démonstrations vers 1870, et la fin de sa « carrière » vers 1910, la « fourbe paysanne », comme le surnomme le psychologue américain William James (le frère de l'écrivain Henri James), accompagne pratiquement toute l'histoire de la métapsychique. Et tant pis si, à de multiples reprises, on la surprend en pleine tentative de tricherie, tant pis si on s'aperçoit qu'elle utilise souvent tout un appareillage de trucs et astuces pour produire ses phénomènes.

Eusapia devient progressivement une icône, un symbole, la synthèse en une seule personne de tous les espoirs – et de toutes les polémiques – de la métapsychique fin de siècle. Après la disparition d'Eusapia de la scène publique, à la suite d'une « tournée américaine » désastreuse, la métapsychique se trouve d'autres médiums aux effets physiques ahurissants. Mais, la plupart du temps, on finit toujours par découvrir des fraudes, et pas toujours grossières. Ainsi par exemple, le médium italien Pascale Erto utilise-t-il du ferrocérium qu'il frotte à une plume d'acier pour produire, pendant des séances spirites en pleine obscurité, de superbes éclairs de lumière « surnaturelle ».

En France, en 1919, Charles Richet, Camille Flammarion, et les médecins Gustave Geley et Roquo Santoliquido fondent, avec l'apport financier d'un mécène du spiritisme, l'homme d'affaires Jean Meyer, un « Institut Métapsychique International » (IMI) qui se donne pour but l'étude scientifique des phénomènes liés au spiritisme. Gustave Geley, son premier directeur, arrive à mobiliser la presse et l'opinion, en faisant venir en France quelques médiums d'Europe de l'Est avec qui il organise des séances de démonstration devant le tout-Paris. En 1923, il fait publier dans un grand quotidien un « Manifeste des 34 », signé d'autant de noms célèbres du monde savant, intellectuel et politique français. Les signataires attestent avoir observé, dans de bonnes conditions de contrôle, des phénomènes insolites dans l'environnement immédiat du médium polonais Jean Guzik.

A la même époque, grâce à un autre médium, Franek Kluski, Geley obtient des moulages de mains de fantôme, au cours de séances réalisées à l'IMI selon un protocole sévère. Ces moulages vont passionner les amateurs de métapsychique tout autant que les prosélytes du spiritisme, qui comptent dans leur rang le célèbre écrivain Arthur Conan Doyle, lequel inclut le dossier des « moulages ectoplasmiques » dans son Histoire du Spiritisme, au chapitre des preuves expérimentales prouvant la survie de l'âme humaine. Mais, malgré ces « coups médiatiques », la métapsychique commence à marquer le pas. Plusieurs médiums sont étudiés par la Sorbonne dans les années 1920, et à chaque fois les résultats sont décevants : on croit détecter de piteuses tentatives de tricherie, et les médiums, par ailleurs si démonstratifs, semblent avoir perdu leurs talents. De polémiques en controverses, la métapsychique paraît s'épuiser irrémédiablement.

Avec la déclaration de guerre en 1939, qui va mettre l'Europe à feu et à sang pour de longues années, la métapsychique perd définitivement ses espoirs et sa ferveur. Alors qu'à la même époque, aux Etats-Unis, naît une nouvelle discipline, et cette fois, au sein même de l'université : la parapsychologie.

La père de la parapsychologie est un certain Joseph Banks Rhine. A la fin des années 1920, alors étudiant en fin d'études, il rencontre le vieil universitaire anglais William McDougall, lequel est depuis peu le directeur du tout nouveau département de psychologie de la Duke University, à Durham, en Caroline du Nord. Tous deux sont très intéressés par la métapsychique, et bientôt McDougall propose à Rhine de prendre la tête d'une section du département de psychologie de l'université. Rhine se met tout de suite au travail, mais il a retenu des leçons du relatif échec de la métapsychique, qui, du point de vue institutionnel, n'a jamais réussi à trouver une légitimité scientifique.

Pour Rhine, il faut absolument que les recherches en sciences psychiques soient rattachées au train des sciences « normales », c'est la condition nécessaire à la normalisation de ce champ de recherches et au développement des travaux scientifiques sur le sujet. Il décide d'abandonner le terme de « psychic research », trop connoté et passéiste désormais, et lui substitue le vocable « parapsychologie » (qui fut proposé, quelques décennies plus tôt, par un psychologue allemand, mais sans succès à l'époque).

Pour Rhine, la nouvelle parapsychologie est une forme plus rigoureuse, plus « mainstream » en quelque sorte, de la recherche psychique, qui a pour vocation de développer et compléter les recherches en psychologie scientifique classique, en étudiant tous les aspects a priori aberrants du fonctionnement de l'être humain, ceux sur lesquels la métapsychique s'était cassée les dents.

En 1930, avec l'appui de McDougall, Rhine parvient à fonder un Laboratoire de Parapsychologie à la Duke Universty, et bientôt les premiers travaux sont publiés. Des travaux d'un nouveau genre, car au lieu de s'intéresser à des personnalités hors du commun, tels les médiums à « effets physiques », Rhine s'évertue à dépister la présence des phénomènes chez les étudiants de son université qui veulent bien se prêter au jeu.

Un collègue de Rhine, Karl Zener, invente un système de jeu de cartes simplifié : 25 cartes qui représentent, par groupe de 5, des cercles, des étoiles, des vagues, des carrés et des croix. Au cours de très nombreuses sessions expérimentales, Rhine et son équipe demandent aux étudiants volontaires de deviner les symboles qui sont tirés de ces jeux de cartes. Après des milliers de tests de ce genre, on passe aux calculs statistiques. Par le simple hasard, on devrait retrouver en moyenne 5 symboles justes par paquets de 25 cartes. C'est d'ailleurs le résultat de la plupart des étudiants. Mais, régulièrement, certains obtiennent de meilleurs scores, des scores au-dessus du simple hasard. Ces étudiants-là sont recrutés pour des tests prolongés, qui aboutissent bientôt à des publications scientifiques.

En 1934, le premier livre de Rhine, où il raconte ces premières années d'expérimentations, connaît un succès inattendu et les cartes Zener deviennent célèbres dans le monde entier. En 1937, le Laboratoire de Parapsychologie commence la publication de sa propre revue savante, le Journal of Parapsychology (toujours édité de nos jours). Imprimée par les presses de la Duke University, c'est la première revue scientifique consacrée entièrement à la publication de travaux universitaires en parapsychologie. Bien sûr, la parapsychologie est l'objet, comme la métapsychique avant elle, d'une levée de boucliers de la part des « sceptiques », qui voient dans cette nouvelle entreprise la résurgence d'un mode de pensée magique et pré-logique dont le positivisme du XIXème siècle était supposé nous avoir débarrassé. Mais Rhine et son équipe choisissent de répondre systématiquement aux critiques qui leur sont formulées, au point qu'en 1940, ils font paraître un imposant ouvrage à destination de leurs « chers collègues », dans lequel ils exposent leurs 10 années de travail, les détails de leurs expériences parmi les plus abouties, discutent des critiques qui leur ont été formulées, et présentent en annexe toutes les méthodes de calculs et procédures expérimentales employées par eux dans la mise en évidence de ce qu'ils baptisent désormais la Perception Extra-Sensorielle, ou ESP.

Ces efforts de Rhine portent leurs fruits, car bientôt d'autres chercheurs, aux Etats-Unis comme en Europe, tentent à leur tour des expériences inspirées des cartes Zener, et certains obtiennent des résultats équivalents à ceux de Rhine. Recherches et débats continuent ainsi, cette fois sur un terrain plus scientifique que naguère, jusqu'à l'avènement, dans les années 1960, des premiers ordinateurs. Grâce à leur puissance de calcul proprement inhumaine, ces nouveaux outils permettent notamment de se préserver encore mieux des « indices sensoriels » en cours d'expérience, et de multiplier le nombre d'essais réalisables.

C'est aussi l'époque de l'invention des premiers générateurs de nombres aléatoires (RNG), des machines dont la fonction est de produire du hasard pur, sans intervention humaine. C'est un physicien allemand émigré aux Etats-Unis et travaillant alors aux réputés laboratoires Bell, Helmuth Schmidt, qui invente, en 1969, le premier RNG, dans le cadre d'une expérience où il est demandé à des volontaires de deviner quelle lampe parmi les 4 possibles disposées sur une console, va s'allumer au round suivant. Les résultats, supérieurs aux scores attendus par le simple hasard, sont publiés dans une livraison du Journal of Parapsychology.

Mais la méthode de Rhine, la recherche dite « quantitative » (par opposition aux recherches « qualitatives » de naguère), a tout de même ses limites. Deviner des symboles pendant des milliers d'essais répétitifs s'avère vite fastidieux, alors même que, plus qu'ailleurs, l'intention et la motivation des participants semble prédominante en parapsychologie. Dans les années 1960, d'autres parapsychologues tentent de mettre en lumière les « phénomènes psi » (le terme est inventé dans les années 1940 par un chercheur anglais appartenant à la SPR) dans des conditions plus aptes à favoriser leur apparition. C'est ainsi qu'à New York, dans le prestigieux hôpital universitaire Maimonides, des expériences de télépathie pendant le rêve sont organisées, sous la direction du psychologue Stanley Krippner et du psychanalyste Montague Ullman.

On demande à une personne, lors d'une nuit passée au laboratoire, de se concentrer sur une cible (une toile sélectionnée au hasard parmi les collections des musées de la ville de New York), pendant qu'au même moment, on mesure l'activité psychique d'une seconde personne, endormie, bardée de capteurs, dans une autre salle. Lorsque qu'on détecte que le dormeur se met à rêver, grâce à ses mouvements oculaires rapides (les REM), on le réveille pour lui demander de raconter son rêve. Les récits ainsi collectés sont confrontés aux tableaux de maître qui ont servi de cible, et des juges indépendants, en double aveugle, doivent ensuite évaluer quels récits semblent le mieux coller à quelle toile.

Ce protocole est utilisé pendant plusieurs années, et là encore, cette mystérieuse perception extra-sensorielle semble être mise en évidence à plusieurs reprises. Les travaux de Rhine, ceux d'Elmuth Schmidt sur les générateurs de nombres aléatoires et ceux du Laboratoire des rêves du l'hôpital Maimonides de New York comptent parmi les travaux les plus importants de cette période.

Dans les années 1950, une association scientifique est créée, la Parapsychological Association, regroupant les savants produisant des travaux de par le monde. En 1969, cette association soumet sa candidature à la puissante AAAS, l'association américaine pour le progrès scientifique, éditrice de la célèbre revue Science. L'AAAS fédère alors une centaine d'associations savantes internationales, représentant autant de disciplines scientifiques ainsi « légitimées ». La candidature de la PA pose problème étant donné la nature fort polémique du sujet d'étude considéré. Pour certains, les « phénomènes psi » n'existent tout simplement pas, et donc la parapsychologie ne peut prétendre au statut de véritable science. Lors de la réunion de l'AAAS, en décembre 1969, on soumet donc l'affiliation de la PA au vote des membres, après un bref débat au cours duquel, à la surprise générale, Margaret Mead, une anthropologue réputée, prend la défense de la jeune association. L'histoire des sciences nous montre, dit-elle, que nombre de découvreurs furent considérés, à leur époque, comme de dangereux hérétiques ou de vains rêveurs. Et quoi qu'on en dise, les parapsychologues utilisent bien les outils de la science pour mener à bien leurs recherches : protocoles soigneusement élaborés, calculs statistiques, jugements en « double aveugle », etc.

Un vote à mains levées est alors organisé : la grande majorité des votants se prononce pour l'affiliation de la PA à l'AAAS. Désormais, la parapsychologie est reconnue, par l'instance représentative et organisatrice des sciences, comme une science à part entière. 1969 est donc véritablement une année charnière dans l'histoire de la parapsychologie. Elle change de statut, ce qui va permettre dès lors l'éclosion d'institutions et de laboratoires dédiés à ce type particulier de recherche.

De nos jours, la parapsychologie est toujours là. On la trouve, dans de nombreux pays, aussi bien au sein d'universités, souvent dans des départements de psychologie, que dans des fondations privées. Citons par exemple le Princeton Ingineering Anomalies Research à l'université de Princeton, la Koestler Parapsychology Unit à l'université d'Edimbourg en Ecosse, l'Institut pour les Champs Limites de la Conscience (IGPP) à Frigourg en Allemagne, ou bien encore au département des sciences sociales et comportementales de l'université d'Amsterdam, aux Pays-Bas. En France, on aura cependant bien du mal à trouver une seule université qui propose à ses étudiants de s'intéresser à ce domaine de recherche. En dehors de l'Institut Métapsychique, qui existe toujours et développe ses activités depuis quelques années, force est de constater que la parapsychologie n'existe quasiment plus. Cela s'explique, au choix, ou bien par le fait que la science française est en avance sur celles des autres pays, ou bien parce qu'au contraire, elle reste à la traîne, enfermée qu'elle est dans une vision passablement simpliste de ce qu'est la science, ou plutôt, de ce qu'elle ne doit surtout pas être.

Les travaux du biologiste anglais Rupert Sheldrake sont un bon exemple des expériences menées aujourd'hui par les chercheurs en parapsychologie. Sheldrake connaît une certaine renommée au Royaume-Unis grâce à ses ouvrages, aux titres parfois bien curieux, par exemple Dogs That Know When Their Owners Come at Home. L'approche de Sheldrake est particulièrement simple : il tente de vérifier expérimentalement la validité de certaines croyances largement répandues dans le grand public. Par exemple, le fait que l'animal de compagnie arrive à savoir à quel moment son maître revient à la maison.

Sheldrake réalise alors de nombreux tests filmés, avec la complicité de maîtres qui témoignent de cette attitude chez leur animal. Une caméra filme le chien à la maison pendant qu'une autre, parallèlement, filme le maître qu'on a emmené quelques kilomètres plus loin. Bien sûr, on dit au maître de rentrer à un moment choisi aléatoirement, et différent de ses habitudes. En outre, il revient en taxi plutôt qu’avec son véhicule personnel, afin d' évacuer l'hypothèse selon laquelle le chien reconnaîtrait le bruit habituel du moteur. Un timecode synchronisé, sur les deux caméras, permet d'observer l'attitude du chien à la seconde près. Les films ainsi obtenus par Sheldrake sont tout à fait étonnants, particulièrement lorsqu'on se rend compte que le chien semble se réveiller de sa sieste, et se met à dresser l'oreille, au moment précis où le maître vient de recevoir l'ordre de rentrer chez lui !

Précisons cependant que Sheldrake ne prétend pas, dans ce type d’expérience, que le chien ne se relève soudainement qu’au moment du retour du maître: il montre en revanche que l'animal se rend beaucoup plus souvent à la porte d'entrée pendant la période où le maître est sur le chemin du retour, que pendant les heures qui précèdent.

Bien entendu, aussi étonnantes qu'elles semblent être, ces expériences ne valent pas vérité scientifique, tant qu'elles ne sont pas reproduites indépendamment de Sheldrake. Et justement, le débat est actuellement en cours. En Angleterre, le psychologue Richard Wiseman et son équipe ont tenté de reproduire cette expérience. Précisons que Wiseman est très critique sur la réalité des phénomènes psi, et semble se faire une spécialité du «démontage» (debunking) du travail des autres. Mais, cette fois-ci, les résultats de Wiseman semblaient parfaitement valider ceux de Sheldrake. Pourtant Wiseman choisit de publier un rapport aux conclusions négatives ! Pourtant les chiffres bruts des tests réalisés par Wiseman étaient en tout point similaires à ceux de Sheldrake.

Actuellement (en avril 2006) les deux chercheurs campent toujours sur leurs positions: Sheldrake affirme que Wiseman a obtenu des données qui valident les siennes, alors que Wiseman prétend que l'interprétation de Sheldrake est tendancieuse… On notera que les arguments des uns et des autres sont disponibles sur Internet, notamment sur le site de Rupert Sheldrake, dans lequel le chercheur publie toutes les données des controverses autour de ses recherches.

Une autre expérience célèbre de Sheldrake est celle dite de « télépathie par téléphone », évidente dans son principe, et relativement simple à mettre en place : on demande à quelqu’un de deviner qui l’appelle, parmi 4 personnes possibles; ces appelants étant choisis parmi ceux avec qui ça marche habituellement, selon le témoignage de la personne testée. Sur une centaine d'essais, on s'attend donc à environ 25 réussites (1 chance sur 4). Mais Sheldrake a obtenu, lui, un peu plus de 30 % de réussite en moyenne, après des centaines de tests, ce qui exclut la possibilité d'un simple « hasard heureux ».

En 2004, Dick Bierman et Eva Lobach, de l’université d’Amsterdam, ont tenté de réaliser à leur tour cette expérience… Et ont obtenu, eux aussi, un résultat significatif (http://www.sheldrake.org/articlesnew/pdf/Lobach.pdf). Précisons cependant que d’autres réplications n’ont pas eu le même succès. Mais, comme dans toute expérience de parapsychologie avec du «matériel» humain, les conditions psychologiques dans lesquelles se déroule l’expérience sont extrêmement importantes.

Les travaux de Sheldrake ont acquis une renommée certaine en partie grâce aux articles qui leur ont été consacrées dans l'hebdomadaire anglais New Scientist dans les années 1990 et 2000. Au point qu'en 2005, un numéro entier du Journal of Consciousness Studies, une revue savante à destination des chercheurs, a été consacré à débattre de ses théories et des travaux. Ce qui montre que, d’une part, le débat scientifique sur les « phénomènes psi » est donc bien possible, et d’autre part que Sheldrake arrive à mobiliser une partie de cette fameuse et mythique «communauté scientifique», et cela sans doute parce qu’il est plus audacieux que d’autres. Il n’hésite pas à attaquer de front les grandes questions, celles qui ont été peu à peu abandonnées par les parapsychologues, lassés des critiques mille fois répétées par leurs adversaires.

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  • Dernière modification : 2020/04/06 13:43
  • de Grégory Gutierez